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Consultation du CNoCP sur le cadre conceptuel des comptes publics

30.04.2015

   Réponse de l’Académie de Comptabilité axée sur l’introduction du concept de souverain

 

La présente réponse se réfère à la question 5 de l’appel à commentaires de la consultation publique du Conseil de normalisation des comptes publics : « Dans le chapitre 3, le projet de cadre conceptuel des comptes publics définit la source commune et les principales caractéristiques des spécificités de l’action publique. Partagez-vous cette analyse ? Quelles modifications ou compléments souhaiteriez-vous apporter ? ».

 

Le chapitre 3 du cadre conceptuel des comptes publics proposé est consacré aux spécificités de l’action des administrations publiques. Le CNoCP estime en effet, à juste titre, que certaines spécificités du secteur public relèvent de concepts différents de ceux du secteur privé. L’identification des principales spécificités de l’action des administrations publiques le conduit à rechercher leur source commune.

 

Il identifie ainsi l’existence d’un pouvoir surplombant les administrations publiques, né de la souveraineté, qu’il appelle « souverain ». Ce dernier délègue la mise en œuvre de l’action publique à des entités d’exécution. Il peut décider, de manière unilatérale, de modifier substantiellement la consistance ou la portée des droits et des obligations confiés à l’Etat et aux autres administrations publiques. Ce concept de souverain correspond à une réalité, même si le cadre conceptuel admet que l’entité « Etat » a, de manière prépondérante, des compétences et des moyens dont ne bénéficient pas d’autres administrations publiques, davantage entités gestionnaires.

 

Le souverain étant prétendument irresponsable, il n’est pas comptable (il ne rend compte à personne), et ne peut donc être une entité comptable, à la différence des administrations publiques responsables et comptables. Pour autant, cette inventivité conceptuelle pourrait générer des incertitudes et aboutir à rendre la comptabilité publique moins informative que celle du secteur privé :

 

-          A partir de quel fait générateur les pouvoirs du détenteur de la souveraineté, tels celui de lever l’impôt, se transforment-ils en droits et obligations de l’Etat et des autres administrations publiques ?

-          Entre les promesses du souverain qui ne l’engagent pas (mais que le cadre conceptuel qualifie improprement « d’engagements »), et les droits et obligations qu’il attribue aux administrations publiques, en les dotant ou non de moyens (suffisants ?) pour remplir la mission qu’il leur confie, il risque d’exister une zone grise, une sorte de sas, pour le normalisateur comptable et pour le comptable public.

-          La notion de passif éventuel, faisant l’objet d’une information en annexe, risque d’être plus étendue qu’en comptabilité privée : un passif dépendant de la survenance d’événements futurs maîtrisés par l’entité publique pourrait ne pas être comptabilisé, alors qu’il pourrait s’agir davantage d’un passif probable que d’une dette éventuelle.

-          La notion d’obligation implicite, reconnue en comptabilité privée, ne le serait pas en comptabilité publique s’agissant d’obligations spécifiques de l’action publique. La motivation avancée aux paragraphes 132 à 134 n’est pas convaincante. En tout état de cause, l’absence de passif, en présence d’une obligation implicite spécifique à l’action publique, ne semble conforme, ni au cadre conceptuel des IFRS, ni à celui des états financiers des entités du secteur public publié par l’IPSASB (International Public Sector Accounting Standards Board) fin octobre 2014.

-          Les engagements de retraite, acquis par les fonctionnaires à la clôture de l’exercice, doivent-ils être provisionnés au passif, à droit constant, même s’il est possible que leur montant soit modifié de manière substantielle à la libre appréciation du législateur ? Ou doivent-ils être constatés en passif éventuel, également à droit constant, dès lors que ces engagements ne sont pas de nature contractuelle (le statut de la fonction publique n’est pas un contrat) et constituent donc une obligation implicite ?

 

La création d’une dichotomie conceptuelle, entre le souverain et les administrations publiques, présente un caractère quelque peu artificiel. Dans la vraie vie, l’Etat influe le souverain, représentant de la Nation. Bercy, par exemple, exerce une influence certaine sur les politiques publiques, réputées être l’expression de la volonté du peuple souverain. Il ne faudrait pas que l’avancée conceptuelle du souverain soit utilisée comme un artifice pour ne pas comptabiliser des actifs ou des passifs quand il le faudrait. Le degré de maturité des obligations de l’action publique requis, pour être reconnues en comptabilité, est une problématique clef dans le raisonnement retenu mais peut-être difficile à apprécier.

 

Ainsi, le paragraphe 56  indique-t-il que de nombreux passifs qu’une entreprise devrait comptabiliser, constitueraient, pour une administration publique, des engagements donnant seulement lieu à une mention en annexe. L’opposabilité à l’administration semblant être un critère plus déterminant pour la constatation d’un passif, il serait souhaitable d’approfondir cette notion et de l’expliciter davantage afin de marquer une distinction plus nette entre passif probable et passif éventuel.

 

La souveraineté, conçue comme la principale source de l’action des administrations publiques, devient de surcroît de plus en plus relative. La capacité de lever davantage d’impôt est toute théorique au regard du niveau de nos prélèvements obligatoires. Des pans entiers de la souveraineté nationale se heurtent au mur de notre dette publique et de la réalité économique. Notre appartenance à l’Union européenne et à la zone euro, ainsi que les contraintes d’un monde toujours plus globalisé, confisquent une partie des souverainetés nationales pour les reporter au niveau international.

 

Contrairement aux apparences, le souverain est beaucoup plus bridé qu’on ne le laisse entendre. Aujourd’hui, le souverain doit rendre compte de ses actes aux institutions nationales et internationales qui détiennent des pouvoirs propres et spécifiques qu’il a agréés.

 

Quid enfin de la confiance des ménages et des entreprises qui pensent contracter avec l’Etat et les administrations publiques, si les caprices du souverain modifient à tout moment la donne ? N’est-il pas temps de faire preuve de réalisme et de cesser de créer, chez les bénéficiaires des promesses du souverain, des attentes implicites qui ne seront pas tenues ? En tout état de cause, les conséquences comptables susceptibles d’être tirées de ce concept de souveraineté sur l’appréciation des obligations des administrations publiques, ne contribueront pas à modifier le comportement de nos représentants élus par le peuple souverain.

 

En prenant l’excellente initiative de proposer un cadre conceptuel des comptes publics, le CNOCP a aussi l’ambition de le proposer comme source d’inspiration hors de France, notamment dans la perspectives de l’émergence de normes comptables européennes dites EPSAS (European Public Sector Accounting Standards)». Le concept de souveraineté a-t-il des chances de convaincre nos partenaires et la Commission européenne ? Ne risque-t-il pas d’être perçu comme la porte ouverte à des abus comptables ? Va-t-il dans le sens de l’évolution des souverainetés nationales ? Va-t-il dans le sens de la normalisation comptable internationale ? Il est possible d’en douter, même si ce concept a une vraie réalité dans notre pays.

 

Peut-être serait-il utile de préciser en quoi l’action publique en France est spécifique au regard de celle des autres pays ? Introduire dans le cadre conceptuel des comptes publics un concept original mais sans équivalent dans les autres cadres développés et en cours de développement peut être un sujet d’interrogation sur la pertinence et la portée de ce concept de souverain.

 

Dans un monde où il existe des attentes sur l’idée que les comptes publics doivent offrir des éclairages sur les perspectives financières à court et moyen terme d’un Etat selon des règles, qui, sans être communes, doivent toutefois autoriser des comparaisons entre pays, l’intérêt de dispositions conceptuelles développées selon une logique spécifique à l’environnement règlementaire français, mais éloignée de celles développées en France et à l’international, pourrait s’en trouver limité.

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