Analyse réalisée au 1er semestre 2014
Marie-Agnès NICOLET, présidente de REGULATION Partners et du Club des Marchés Financiers

Introduction

Dans la perspective de la mise en œuvre de l’obligation de compensation prévue par le règlement EMIR, Regulation Partners a réalisé une analyse comparative sur les chambres de compensation (appelées contreparties centrales dans le règlement EMIR1 et dénommées ci-après « CCP2 »).

Rappelons que le règlement EMIR3 a introduit une obligation de compensation pour les contrats dérivés de gré à gré négociés par les contreparties financières et les contreparties non financières excédant les seuils de compensation prévus par la règlementation EMIR. L’objectif de cette obligation étant de transférer les risques encourus sur une contrepartie à une CCP, le risque de défaillance n’est pas annulé mais transféré sur les CCP. Dans ce nouvel environnement, il est impératif pour les intervenants d‘intégrer dans les critères de choix d’une chambre de compensation la solidité de la CCP.

Dans ce contexte, Regulation Partners a sélectionné 8 obligations parmi celles prévues par EMIR et applicables aux CCP :

I. Gouvernance
II. Plan de continuité d’activité
III. Règles d’adhésion
IV. Fonds de défaillance
V. Exigence de marge
VI. Exigence en matière de garanties (collatéral)
VII. Ségrégation et portabilité
VIII. Accords d’interopérabilité

Pour chacune des 8 obligations sélectionnées, l’étude détaillée rappelle les dispositions prévues par le règlement EMIR et, le cas échéant, les principes équivalents pour les infrastructures de marchés financiers (comprenant notamment les CCP), définis en avril 2012 conjointement par le Comité sur les Systèmes de Paiement et de Règlement et le Comité Technique de l’Organisation Internationale des Comités de Valeurs (OICV)

Pour chacun de ces thèmes, notre analyse met en exergue les principales similitudes et différences dans l’interprétation de ces normes par les sept chambres de compensation (CCP) suivantes :

- LCH.Clearnet SA
- Eurex Clearing
- EuroCCP
- SIX x-clear Ltd
- CME Clearing Europe
- ECC
- ICE Clear Europe

L’étude a été effectuée à travers les documents publiés sur les sites Internet des CCP et des questions complémentaires posées aux CCP entre janvier et mai 2014.

Sur 7 CCP, notons que 4 seulement ont le statut d’établissement de crédit puisque le règlement Emir n’oblige pas les CCP à disposer de ce statut.

Dans le cadre de cette synthèse, nous avons sélectionné quelques points particulièrement marquants de différences d’interprétation des normes EMIR par les CCP.

A° Conseil d’administration des CCP 

Règlement EMIR (article 27)

Au moins un tiers des membres du conseil d’administration de la CCP sont indépendants, sans que leur nombre puisse être inférieur à 2.

Concernant cette obligation, 3 CCP précisent sur leur site Internet les administrateurs qui sont indépendants (LCH.Clearnet SA, EuroCCP, CME Clearing Europe)

Les 4 autres CCP ne mentionnent pas si elles respectent cette règle :

B° Information à l’autorité compétente des décisions du conseil d’administration ne suivant pas les conseils du comité des risques

Règlement EMIR (article 28)

La CCP informe sans délai l’autorité compétente de toute décision où le conseil d’administration décide de ne pas suivre les conseils du comité des risques.

3 CCP (Eurex Clearing, LCH.Clearnet SA et ECC) prévoient d’informer sans délai les autorités compétentes de toute décision du conseil d’administration ne suivant pas les conseils du comité des risques, les  4 autres CCP ne mentionnant pas cette obligation :

C° Politique de rémunération

Règlement EMIR (article 26)

Les CCP adoptent, mettent en œuvre et maintiennent une politique de rémunération qui promeut une gestion des risques saines et efficace et ne crée pas d’incitations au relâchement des normes en matière de risque.

3 CCP (Eurex Clearing, LCH.Clearnet SA et ECC) publient leur politique de rémunération

Par exemple, Eurex Clearing définit de façon détaillée la politique de rémunération pour l’Executive Board en indiquant la part maximum de la rémunération variable par rapport à la rémunération fixe (la part variable ne peut pas dépasser 70% de la rémunération totale annuelle).
ECC définit la politique de rémunération pour l’ensemble des catégories de personnes concernées : employés, responsables de département et senior experts, managing board et directeurs. Pour cette catégorie, la part variable ne peut pas dépasser 35% du salaire fixe annuel. 50% de cette part variable est basée sur l’excédent brut d’exploitation et 50% sur des objectifs individuels.

D° Règles d'admission

Règlement EMIR (article 37)

Les CCP établissent, le cas échéant par type de produit compensé, les catégories de membres compensateurs admissibles et les critères d’admission, suivant les conseils du comité des risques. Ces critères sont non discriminatoires, transparents et objectifs afin d’assurer un accès équitable et ouvert à la CCP et garantissent que les membres compensateurs ont les ressources financières et une capacité opérationnelle suffisantes pour satisfaire aux obligations résultant de leur participation à une CCP.

6 CCP définissent les catégories de membres compensateurs admissibles (general clearing member et direct/individual clearing member) et donnent des informations précises sur les critères d’admission à remplir pour devenir membres compensateurs (fonds propres, contribution au fonds de compensation, licence bancaire…) :

Pour sa part, SIX x-clear Ltd donne des informations sur les statuts requis (licence bancaire…) et définit un rating minimum pour les 2 catégories de membres (general clearing member : A+/A1; individual clearing member : A-/A3).

Le montant de fonds propres minimum pour être membre compensateur direct/individuel varie par ailleurs de manière significative selon les  CCP.

E° Fonds de défaillance

Montant minimum du fonds de défaillance et nombre de fonds de défaillance

Règlement EMIR (article 42)

Les CCP constituent un fonds de défaillance préfinancé pour couvrir les pertes dépassant les pertes à couvrir par les exigences de marge, qui résultent de la défaillance d'un ou de plusieurs membres compensateurs, y compris l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité.
Les CCP fixent le montant minimal auquel le volume du fonds de défaillance ne peut en aucun cas être inférieur.
La CCP peut établir plus d'un fonds de défaillance pour les différentes catégories d'instruments qu'elle compense.

L’analyse comparative des 7 CCP fait ressortir que peu de CCP communiquent un montant minimum pour les fonds de défaillance ; ce montant, lorsqu’il est défini, est variable selon les CCP. Lorsqu’une CCP dispose de plusieurs fonds de défaillance, les montants minimum diffèrent d’un fonds à l’autre. En effet, seules 2 CCP ont défini un montant fixe pour leurs fonds de défaillance :

- LCH. Clearnet SA détermine une fois par mois le montant de chaque fonds de gestion de la défaillance. Il est publié sous forme d’avis. Pour l’un de ses fonds de défaillance Cash et Dérivés, la CCP fixe un montant minimum (750 millions d’€ pour le fonds de gestion de la défaillance cash et dérivés) et un montant maximum (1,750 milliard d’€ pour le même fonds)

- SIX x-clear Ltd définit un montant fixe pour chacun de ses fonds de défaillance (4 millions de CHF pour le fonds de défaillance matières premières et 300 millions de CHF pour le fonds de défaillance marché au comptant)

Si les autres CCP ne publient pas de montant minimum pour les fonds de garantie, elles calculent le montant du fonds de garantie selon des modalités différentes

F° Exigences de marge

Modèles utilisés pour fixer les appels de marge

Règlement EMIR (article 41)

Pour la fixation de ses exigences de marge, la CCP adopte des modèles et paramètres qui intègrent les caractéristiques de risque des produits compensés et tiennent compte de l'intervalle entre les collectes de marges, de la liquidité du marché et de la possibilité que des changements interviennent sur la durée de la transaction.

Toutes les CCP définissent le mode de calcul des exigences de couverture, indiquent le type de titres, d’actifs ou de garanties bancaires pouvant être acceptées et les exigences de couverture.

LCH. Clearnet SA précise que les membres compensateurs doivent appeler les dépôts de garantie et les appels de marge auprès de leurs clients, soit selon les mêmes méthodes et paramètres que ceux requis par LCH.Clearnet SA, soit en cas d’utilisation d’autres méthodes et paramètres après accord préalable de la chambre de compensation.

Pour sa part, SIX x-clear Ltd utilise 3 critères pour le calcul de la marge initiale :

- La VAR
- Le rating de chaque adhérent compensateur en appliquant un coefficient multiplicateur (de 1 à 2 jusqu’à BB-), soit à la notation long terme des agences de rating (S&P, Moody’s, Fitch Rating), soit à une notation interne en cas d’absence de rating ou si le rating des agences de notation diverge fortement de l’évaluation de SIX x-clear Ltd.
- Le montant de la position ouverte nette. Toute position ouverte nette > 750 millions de CHF majore le coefficient multiplicateur utilisé pour le rating. Cette majoration (de 0,25 à 1) est fonction de la position ouverte nette.

G° Exigences en matière de garanties

Principes généraux

Règlement EMIR (article 46)

Les CCP acceptent des garanties (collateral) très liquides comportant un risque de crédit et de marché minimal pour couvrir leur exposition initiale et présente vis-à-vis des membres compensateurs. Pour les contreparties non financières, une CCP peut accepter des garanties bancaires en tenant compte de ces dernières dans le calcul de l’exposition vis-à-vis d’une banque qui est membre compensateur.
Les CCP appliquent une décote appropriée à la valeur des actifs, en tenant compte de la perte de valeur potentielle qu’ils subiront dans le laps de temps séparant leur dernière réévaluation et le moment probable de leur liquidation. Les CCP prennent en compte le risque de liquidité résultant de la défaillance d’un acteur de marché et le risque de concentration sur certains actifs pouvant intervenir dans l’établissement des garanties acceptables et des décotes appropriées.
Lorsque c’est approprié et suffisamment prudent, les CCP peuvent accepter en collateral le sous-jacent du contrat dérivé ou de l’instrument financier qui crée l’exposition de la CCP.
L’AEMF4, après consultation de l’ABE5, du CERS6 et du SEBC7, élabore des projets de normes techniques de règlementation précisant :

a) Le type de garanties pouvant être considérées comme très liquide (espèces, or, obligations d’Etat ou d’entreprises de haute qualité et les obligations garanties)
b) Les décotes
c) Les conditions auxquelles les garanties de banques commerciales peuvent être reconnues comme collatéral.

Les garanties acceptées comme collatéral varient significativement selon les CCP.

Pour exemple, LCH.Clearnet SA accepte 4 types de collatéral :

- Cash dans 3 devises : EUR, USD (avec une décote de 4,8%) et GBP (décote de 5,4%)
- Titres de dettes : titres de créance émis par les Etats suivants : France, Allemagne (et le Kreditanstalt für Wiederbau), - - Etats-Unis, Grande-Bretagne, Belgique, Pays-Bas, Italie, Portugal et Espagne. Une décote, déterminée par LCH.Clearnet - SA dans un avis, est appliquée sur ces obligations selon le risque de prix estimé encouru sur ce collatéral
- Actions incorporées dans l’indice Euro Stoxx 50, à l’exception de celles listées par LCH.Clearnet.SA dans un avis, et avec - application d’une décote de 35%.
- Garanties de banques centrales : Banque Nationale de Belgique et Banque Centrale des Pays-Bas

Pour sa part, Eurex Clearing accepte 3 types de collatéral :

- Cash dans 4 devises : EUR, CHF, USD et GBP
- Titres : les catégories de titres acceptés en garantie couvrent une gamme plus large que LCH.Clearnet SA :

Titres de créances en EUR : titres éligibles auprès de la BCE
Titres de créances émis par les Etats suivants ; Etats-Unis, Grande-Bretagne, Danemark, Norvège, Suède, Australie, Canada et Japon
Titres de créances en CHF : titres éligibles auprès de la Banque Nationale Suisse
Actions :

en EUR appartenant aux indices suivants : DAX, EURO STOXX 50, Top 50 HDAX
en CHF appartenant à l’indice SMI (Swiss Market Index)

- Matières Premières : Xetra gold certificates

Les titres et les matières premières acceptés comme collatéral sont validés quotidiennement.
Une décote est calculée pour chaque titre et pour les matières premières.

Enfin, EuroCCP accepte 3 catégories de collatéral :

Cash : EUR, GPB, USD, CHF, DKK, NOK et SEK avec une décote d’au moins 3% pour les devises différentes de la devise de reporting
Obligations d’Etat : France, Allemagne, Autriche, Belgique, Pays-Bas, Finlande, Suède, Danemark, Grande-Bretagne, Suisse, Norvège et Etats-Unis ; la décote est d’au moins 3% ; elle est fonction du type d’émetteur, de la solvabilité (dont le rating), de la maturité, de la volatilité des prix et de la devise d’émission
Obligations émises par des corporates : des mêmes pays que les emprunts d’Etat ; la décote est d’au moins 10% et reprend les mêmes critères que les obligations d’Etat

En revanche, les actions ne sont pas acceptées comme collatéral, contrairement à LCH.Clearnet SA et Eurex Clearing.

EuroCCP définit ensuite une éligibilité du collatéral différente selon son utilisation :

- Clearing fund (fonds de défaillance)
- Margin collateral
- EuroCCP collateral
- Interoperability fund

SIX x-clear Ltd accepte 4 types de collatéral :

- Cash dans 7 devises : CHF, EUR, GBP, USD, DKK, SEK et NOK
- Créances avec la BCE et la Banque Nationale Suisse sous forme de prise en pensions de titres
- Obligations :

En CHF émis par la confédération helvétique ayant un rating minimum AA-
Dans la devise d’emprunt domestique des pays suivants et ayant un rating minimum AA- : Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, France, Allemagne, Pays-Bas, Norvège, Suède et Royaume-Uni
D’autres émetteurs avec un rating minimum AA- et les obligations hypothécaires danoises
D’autres émetteurs avec un rating minimum A- et les obligations hypothécaires danoises

- Les actions liquides des principaux indices et les obligations convertibles cotées sur un marché règlementé

Conclusion

Si l’harmonisation des règles de fonctionnement des CCP pour se conformer à la règlementation EMIR constitue une avancée importante, il reste à mettre en œuvre des pistes d’amélioration dans leur harmonisation.

En effet, l’analyse comparative des 7 CCP pour les 8 thèmes de notre étude fait apparaître que le niveau de communication des informations publiées par les CCP est disparate d’une chambre de compensation à l’autre.

Cette étude fait également ressortir une hétérogénéité dans les méthodologies utilisées par les différentes CCP, en particulier sur le montant des fonds propres, le fonds de défaillance et les collatéraux admis.

Concernant la supervision, les différences sont liées notamment au fait que les CCP n’ont pas l’obligation d’avoir un statut bancaire. Parmi les 7 CCP analysées, seules quatre d’entre-elles (LCH.Clearnet SA, Eurex Clearing, ECC et SIX x-clear Ltd) ont le statut d’établissement de crédit, ce qui rend d’autant plus nécessaire, au-delà de la supervision réalisée localement, le rôle de coordination de l’ESMA au travers des collèges de régulateurs.
Notons de plus que LCH.Clearnet SA est la seule CCP à être intégrée dans le mécanisme de supervision unique de la BCE car elle est considérée comme un établissement de crédit important dans la zone euro, contrairement à Eurex Clearing et ECC.

Compte-tenu des risques systémiques très importants que pourrait induire une supervision non homogène et de niveau variable selon les régulateurs, au-delà de la coordination de l’ESMA au travers des collèges de régulateurs, la piste d’une supervision européenne unique pour les CCP comme pour les établissements bancaires systémiques mériterait d’être étudiée.